« De ce côté-là, c’est Laplaigne, de l’autre, c’est Flines-lez-Mortagne : le chemin que nous avons devant nous fait la frontière ». A peine arrivé dans l’entrée du bois de Flines, Jean-Yves Cools, l’œil pétillant, se remémore des souvenirs d’enfance, du temps de la contrebande. « On n’a plus ce plaisir de jouer à cache-cache…
Des projets qui sortent des sentiers battus
Ces sentiers de contrebande sont aujourd’hui empruntés de façon tout à fait légale et peuvent même être remis à l’honneur grâce à un programme européen transfrontalier mené par les deux parcs naturels : Les Plaines de l’Escaut (PNPE) en Belgique et le Parc Régional Scarpe-Escaut en France. Astrid Dutrieu, Chargée de la « Mobilisation des habitants » au PNPE nous en explique le principe : « Nous faisons de l’accompagnement de projets de citoyens. Certains collectifs d’habitants dans les villages ont eu envie de réhabiliter des sentiers qui existent ou d’en créer pour évoquer l’histoire de leurs lieux de vie. »

Un trio attaché au patrimoine et à la nature
C’est le cas de nos trois nouveaux amis, Jean-Yves Cools, le français de Flines –Lez-Mortagne et les belges, Jean-Luc Bouquelle de Quartes et Josiane Claus, originaire de Calennelle.
Au départ, ils ne se connaissaient pas et se sont rencontrés via un atelier qui explorait l’évolution du paysage au fil du temps. De fil en aiguille, le trio se constitue et émet l’idée de balade-découverte autour du sentier du Lancaster…

Une page d’histoire
Le 19 juillet 1944, un Lancaster LL943 de la RAF (Royal Air Force) après avoir participé au bombardement d’un nœud ferroviaire à proximité de Maubeuge est touché par un tir de l’aviation allemande et s’écrase dans le bois de Flines-Lez-Mortagne. Aucun des 7 membres d’équipage, anglais et australiens, ne survivra. Dans un ouvrage de 2009, le colonel Gabriel Bauters précise que « les débris du LL943 se sont éparpillés sur quelques dizaines de mètres juste au-delà de la frontière. L’appareil s’est brisé en tombant et la tourelle arrière et le corps du sergent Henry Simmonds ont été retrouvés à 250 mètres de là. »
6 membres d’équipage seront enterrés à Valenciennes en France et le Sergent Simmonds à Laplaigne en Belgique.
Le 5 septembre 2010, la commune de Flines inaugure une stèle commémorative dans la forêt domaniale au lieu-dit « la Cavée » près du lac du Prince. De son côté, le conseil communal des enfants de l’entité de Brunehaut, subventionné par le Prix Arthur Haulot obtenu en 2012, place des panneaux didactiques explicatifs sur une partie du sentier.

Joindre les pas belges et les pas français
Réunir ces deux initiatives et les deux régions par une balade, voilà l’idée développée par Jean-Yves, Jean-Luc et Josiane. « C’est devenu une évidence : en créant un chemin qui relie les deux villages, on met en lumière à la fois la stèle française et les panneaux didactiques belges qui sont peu connus. Ça permet de populariser ces lieux et aussi de valoriser les paysages » explique Jean-Yves qui est aussi le président d’une association de randonnées pédestres à Mortagne.
Jean-Luc Bouquelle estime d’ailleurs que lors d’une balade « il est important d’avoir des points d’ancrage et donc l’histoire du Lancaster étoffe la promenade et donne envie de la poursuivre. L’aspect thématique est très intéressant. Il restait à déterminer le parcours et là on a pu compter sur notre randonneur, Jean-Yves. Nous souhaitons maintenant réaliser d’ici la fin de l’année un petit dépliant qui donnera quelques indications et permettra de s’orienter. Voire même un balisage. »

Découverte de lieux et d’humains
Pour Josiane, la dynamique de groupe s’est très vite mise en place « grâce à la bière notamment ». « On nous a demandé quel serait notre projet, ça peut faire un peu peur au début. Dans nos villages, il y a beaucoup de personnes qui ont besoin d’être portées parce qu’on n’a pas vraiment l’habitude de pouvoir prendre des initiatives collectives. »
Un projet qui émane des citoyens a visiblement plus de chances d’aboutir : de l’idée à la réalisation, les habitants sont aux commandes. « C’est toute la philosophie de cette initiative, les Parcs Naturels ne viennent pas avec des projets qu’ils « imposent » aux habitants mais au contraire sont à l’écoute de ce qui leur tient à cœur. On s’aperçoit qu’il y a un véritable attachement au cadre de vie, au voisinage, au village et aux souvenirs d’enfance qui y sont liés. Ça valorise beaucoup plus de choses : elles font davantage écho auprès des autres habitants que si c’est une institution qui les propose » précise Astrid Dutrieu du Parc Naturel des Plaines de l’Escaut qui accompagne ces projets, les fait connaître et les soutient financièrement grâce aux fonds Interreg.

La trentaine de projets actuellement en cours (et d’autres peuvent encore être initiés) de part et d’autre de la frontière prennent des formes variées : des expositions photo sur la biodiversité ou le patrimoine, la restauration de petits monuments dans les villages, l’installation de boîtes à livres ou de mobilier comme des bancs qui permettent de recréer du lien social, parfois de toutes petites choses mais qui font sens pour les habitants et qui instaurent une vraie dynamique collective !
Josiane, Jean-Luc et Jean-Yves ont, eux, déjà d’autres idées… et iront découvrir les projets des autres groupes citoyens à Fontenoy ou au Mont St Aubert.
Aniko Ozorai