Pendant des siècles, les troubadours ont parcouru l’Europe pour surprendre et inspirer les gens. Les instigateurs du projet « 2020 Troubadours » estiment qu’il est nécessaire de remettre la pratique au goût du jour. La musique estompe les frontières. Avec le Trouba Train Trip, les troubadours modernes sont passés par Enghien, Ath, Tournai, Courtrai et Lille. Eurometropolis…
« C’est une question d’ouverture. Nous vivons sur le continent de l’unité. Or, nous dressons des barrières », affirme un musicien à mi-chemin entre Ath et Tournai. Dehors, le paysage verdoyant défile ; à l’intérieur, c’est la grosse ambiance. Notre voyage a débuté depuis une heure déjà et les musiciens jamment, rient et font la fête. Tomas Bulcaen est du même avis que son compagnon. Il est membre depuis les débuts de l’Orchestre International du Vetex, un orchestre qui réunit des musiciens des trois régions de l’Eurométropole. « Nous vivons dans une société de plus en plus à droite. Mais en tant que musicien, je vois aussi beaucoup de bonnes choses et nous oublions souvent de le dire. Or, on peut aussi le faire avec la musique, qui transcende tout. Regardez ce qui se passe dans ce train. »

Une grosse heure plus tôt. Nous sommes devant la Gare de Bruxelles-Central. Des touristes ouvrent de grands yeux quand ils voient un groupe de musiciens bigarré et bruyant jouer avec enthousiasme. Après la représentation, nous descendons tous sur les voies. Sur le quai, on joue de la guitare, on chante et on ose un pas de danse prudent.
Pour les organisateurs du Trouba Train Trip, le troubadour est une métaphore des artistes qui veulent rendre la société meilleure, en racontant des histoires qui nous font réfléchir sur la façon dont le monde change actuellement. Comme Panienki, qui interprète une chanson entre Bruxelles-Midi et Halle. Ces cinq femmes viennent de Lille, mais certaines ont aussi des origines en Pologne. Quelque part près d’Enghien, c’est au tour de Yuriy Gurzky, originaire d’Ukraine et Berlinois d’adoption. « Nous cherchons les liens entre l’est et l’ouest », explique Piet Decoster de l’ASBL Via Lactea qui organise le voyage avec Flonflons, l’association lilloise derrière Wazemmes L’Accordéon.

Deux lapins Duracell participent également au Trouba Train Trip : deux hommes qui n’arrêtent pas un instant de jouer, du départ à Bruxelles jusqu’à l’arrivée à Lille. Joan Garriga et Madjid Fakem s’amusent beaucoup lors de ce voyage transfrontalier en train. « Un concert, c’est faire oublier aux gens leurs soucis pendant deux heures. Ici, on peut continuer à jouer », glissent-ils en riant. « Être musicien, c’est chercher les différences. C’est à la fois amusant et enrichissant. Ici en Europe, nous pouvons être heureux de pouvoir voyager librement partout. D’ailleurs, quand on fait de la musique, les frontières n’existent pas. »

Entre-temps, le train s’est arrêté à Tournai. Nous sommes accueillis par un discours, du soleil et un burger à base de lapin. Marie Miltcheva prend la parole ; elle est originaire de Bulgarie, mais vit en Belgique depuis longtemps : « La Belgique est un melting-pot. Chérissez cette diversité. Ici à Tournai, je vois une grande ouverture aux autres. » Dom Moreau, bénévole au sein de nombreuses initiatives tournaisiennes, poursuit : « Nous avons besoin d’un nouveau rêve commun. Le nationalisme et le repli sur soi constituent un grand danger. La musique autorise de la légèreté et les rêves sont possibles s’il y a de la légèreté. » L’Europe a donc besoin de plus de musique.

Cela se vérifie un peu plus tard, une fois le train arrivé à Courtrai, après un passage par Mouscron. Une jam est lancée sur la terrasse du café musical Pand.A. Elle durera une grosse heure. Les gens applaudissent, les musiciens se complètent, se donnent mutuellement la possibilité de faire un solo, avant de repartir tous ensemble de plus belle. C’est la fête !

Pendant ce temps, je continue à discuter avec Tomas de l’Orchestre International du Vetex. « Le mot international figure dans notre nom depuis le début, en 2004. À l’origine, l’intention était de créer une fanfare de quartier. Aujourd’hui, notre line-up est composé de Flamands, d’un Wallon et de Français. Nous sommes habitués depuis longtemps à ce mélange linguistique. Parfois, nous passons trois quarts d’heure à parler en français entre Flamands sans nous en rendre compte. »

Au départ de Courtrai, le groupe haut en couleur reprend le train, cette fois pour sa destination finale : Lille. Entre-temps, nous sommes déjà en fin d’après-midi. Il fait à présent un peu plus calme dans le train, mais c’est en prévision de ce qui suit. Nous arrivons à la gare de Lille-Flandres et nous rendons sur l’esplanade en passant par le hall rénové de la gare. Les musiciens y jouent un petit set, après quoi ils partent en cortège vers le Parc Matisse en passant par Euralille.

Des dizaines de personnes sont déjà prêtes pour un concert gratuit de deux heures au cours duquel les musiciens du Trouba Train Trip montent tous sur scène. Au fil de la soirée, des centaines de spectateurs viennent gonfler l’assistance. Salvatore Adamo était censé rejoindre les musiciens, mais il a un empêchement. En revanche, Arno est bel et bien de la partie. Le Franco-Bruxello-Ostendais s’époumone : « Putain, putain, c’est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens ! ». Et il a bien raison. Les rêves sont possibles s’il y a de la légèreté.
Bart Noels