Hébergement Plateforme citoyenne Wapi: “Des rencontres qui transforment les vies”

Il y a un peu plus d’un an pour tendre la main aux hébergeurs citoyens de Bruxelles et les soulager, deux femmes, Dom Moreau et Coralie Vantomme créent une plateforme d’hébergement en Wallonie picarde, un groupe local comme il en existe d’autres en Belgique. Aujourd’hui, plusieurs centaines de membres en font partie : tous n’accueillent…

Les “merveilleuses” hébergeuses

A Bruxelles, la plateforme citoyenne existe plus de 2 ans, emmenée par deux figures marquantes, Mehdi Kassou qui, de cadre dans une multinationale, est devenu le porte-parole et le moteur de la plateforme citoyenne et sa compagne, la très investie Adriana Costa Santos. Sans relâche, chaque soir, ils dispatchent les « transmigrants » du Parc Maximilien, les mettent à l’abri du froid ou des rafles policières, et chaque soir, ils peuvent compter sur l’implication des citoyens de Wallonie Picarde.

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« Il s’agit d’abord et chaque soir de mettre ces jeunes qui pourraient être nos petits-enfants à l’abri de la pluie, du froid et des rafles annoncées. Quel soulagement chaque fois que nous pouvons lire cette annonce « Ce soir, le parc est vide » – Cécile et Pierre, dynamiques octogénaires de Péruwelz

Les exilés venus pour la plupart d’Erythrée, d’Ethiopie, de Somalie ou du Soudan rêvent d’Angleterre : ils n’ont pas l’intention de rester en Belgique et d’y demander l’asile. Le gouvernement ne propose donc aucun service pour un accueil digne et une possibilité d’hébergement « par choix, pas par manque de moyens puisque les arrestations mobilisent des policiers et que mettre les migrants en centre fermé coûte bien plus cher que de les accueillir dans des structures qui les informeraient quant à leurs droits. Il est question de quelques centaines de personnes, bien loin de l’invasion que certains partis se complaisent à brandir » souligne Coralie. Les citoyens ont donc pris le relais : 6000 familles hébergent en Belgique.

« Accueillir nous a fait vivre énormément de belles rencontres très riches et a permis à nos petits-enfants d’accepter et de respecter des gens d’origines différentes, de se rendre compte que d’autres personnes vivent des situations très difficiles et qu’on se doit de leur tendre la main » – Martine, professeur d’anglais retraitée de Tournai

« Notre sensibilité face aux inégalités de ce monde nous a depuis longtemps amenés à ouvrir les yeux sur les injustices et malheurs qui touchent certaines populations. Nous avons eu la volonté d’agir, en famille, avec mon mari et mes enfants » – Cécile P., professeur de géographie, maman de 4 enfants, originaire de Taintignies

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Ouvrir sa porte et …  son cœur

« Le premier hébergement d’amigrants, il est venu d’un grand sentiment de culpabilité… je m’étais inscrite sur le groupe facebook de la plateforme, et je lisais les témoignages d’hébergeurs. Il fallait convaincre mon compagnon. Comme je n’avais jamais abordé ce sujet avec lui je ne savais pas à quoi m’attendre. Sa réponse a été, sans réfléchir, « On commence quand ? » raconte Patricia  

Chaque jour, la page Facebook de « Wapi/tournaisis- Hébergement plateforme citoyenne » met en contact les chauffeurs, hébergeurs, bénévoles pour coordonner l’accueil. Ce groupe ouvert uniquement aux membres, pour des raisons évidentes, est aussi un espace de témoignages, de demandes et de questions. « Il y a plein de façon de s’engager : ça peut être cuisiner pour certains hébergeurs qui ont des moyens limités ou peu de temps, proposer de faire des lessives, recueillir des dons ou faire des collectes de vivres, de vêtements, les stocker… Des boulangers et des supermarchés nous offrent aussi leurs invendus » explique Coralie « et pour l’hébergement, chacun est libre : on peut accueillir deux jours par mois, chaque week-end, en semaine, à plus long terme… Et je tiens à préciser que les hébergeurs viennent de toutes les catégories sociales et professionnelles, des étudiants ou des retraités, des personnes seules ou des familles, des personnes avec ou sans emploi… Il n’y a pas de profil type juste des valeurs communes  ». L’antenne locale organise aussi régulièrement des rencontres entre hébergeurs et candidats à l’accueil : une façon de balayer des craintes, souvent infondées.

« En hébergeant, je donne sens au premier article de la déclaration des droits de l’homme « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité» – Patricia, infirmière, maman de 2 enfants de 12 et 13 ans

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« Ce n’est pas sans crainte que nous avons accueilli nos premiers invités. « N’y-a-t-il a pas de danger pour nos enfants ? » , « Ne sont-ils pas malades ? », « Vont -ils aimer ce que nous leur offrirons à manger ? » , « Leur culture sera-t-elle compatible avec la nôtre ? » . Ces questions ont traversé notre esprit mais ont vite trouvé réponse : après quelques week-ends d’hébergement, nous avons été rassurés »  se souvient Cécile P

« Pour le premier hébergement, j’ai voulu être rassurée et pour cela, j’ai pris le relais d’une dame que j’ai contactée via le groupe principal de la plateforme. J’ai accueilli deux jeunes soudanais qu’elle avait hébergés auparavant.  La première fois, on est un peu craintif, on ne sait pas qui on va accueillir…mais tout disparaît à la première poignée de mains, au premier regard » raconte Patricia.

« Un soir, après un spectacle à Bruxelles, je suis repassée par le parc Maximilien avec Pierre et Cécile : le choc !!! Je suis revenue avec mes 2 premiers invités, pas très sûre de moi, mais cette première expérience m’a décidée à continuer et cela fait un an que j’essaie de résister à l’inhumanité » –  Colette, retraitée de Péruwelz.

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« C’est quand j’ai assisté à une réunion concernant l’accueil des migrants que nous avons, avec mon mari, décidé de nous lancer. Le monde actuel me révolte. Nous avons commencé à accueillir début mai 2018 : deux Soudanais puis deux Érythréennes. En juillet, nous avons eu la joie de recevoir un message de 4 très jeunes Erythréens qui avaient réussi à arriver en Angleterre : je suis toujours en contact via Messenger. Depuis le mois de septembre je m’occupe de L., une jeune Érythréenne de 18 ans à peine, qui est enceinte de presque 6 mois et qui l’a appris en ‘prison’ à Bruges juste après être passée chez moi puis chez une amie de Péruwelz » énumère Martine avec douceur.

« C’est suite à un appel sur les réseaux sociaux que nous avons rejoint ce groupe. Besoin urgent de « drivers » pour amener des « amigrants » au chaud et à l’abri, combler leurs besoins essentiels en mobilisant nos réseaux, témoigner …Nous allons assez souvent à Bruxelles. L’occasion d’y repasser le soir, de consulter les hébergeurs de chez nous prêts à ouvrir leur porte et de ramener deux ou trois jeunes dans une famille accueillante. Joie de voir le réseau se développer et de faire de nouvelles rencontres » explique Cécile les yeux brillants.

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Des rencontres qui transforment les vies

Chaque rencontre est unique mais toutes véhiculent la même reconnaissance. Très émue, Coralie raconte que « les invités, comme on les appelle, sont surpris par la générosité et l’accueil des Belges qui ouvrent spontanément leurs maisons mais plus encore ils sont très touchés par le regard que l’on pose sur eux : soudain, ils ne sont plus des invisibles, soudain, on les considère comme des êtres humains, on leur serre la main, on leur dit bonjour, des gestes simples qu’ils n’ont plus connu depuis longtemps, souvent depuis leur arrivée en Europe. Sur leur périple, ils ne sont « rien » : personne ne les regarde, ils n’ont aucune valeur.  Ce sont des expériences émotionnellement fortes. On ne parle pas de leur parcours, sauf si eux le désirent. Parler de leurs familles ou enfants est parfois douloureux et on respecte leurs silences comme leurs confidences »

L’appréhension la plus répandue des nouveaux hébergeurs est de ne pas pouvoir communiquer et c’est vrai que de part et d’autre, le bagage d’anglais est parfois mince mais les gestes arrivent vite à la rescousse pour former la langue universelle de l’humanité. Pour le reste, tout s’organise facilement…

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« La rencontre se passe naturellement, la logistique est plutôt simple : un canapé-lit dans notre chambre d’amis, des joggings de rechange, des sous-vêtements et des chaussettes. Je mets dans la machine à laver leurs vêtements pendant qu’ils sont chez moi. On a une réserve de merguez et de boulettes kefta au congélateur mais on ne cuisine rien de spécial : pommes de terre, riz, légumes, œufs, et même des moules ! Avec certains, nous allons à la friterie, on va faire une ballade, on va à la piscine. On les inclut dans nos activités habituelles, tout simplement » raconte avec enthousiasme Patricia.

Les hébergés aspirent souvent au repos après des journées à braver le froid ou la chaleur et les nuits blanches à tenter de monter dans un camion pour l’Angleterre. La connexion Wifi est évidemment indispensable pour prendre des nouvelles de proches, les hébergés n’ont que rarement de crédits téléphoniques. Et puis, il y a toutes ces petites histoires qui tissent une jolie toile de souvenirs notamment lorsqu’il y a des enfants dans les familles d’accueil.

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« Ces jeunes  que nous avons accueillis sont comme nos jeunes. Ils ont des rêves, l’envie de se construire un avenir. Comme nos enfants, ils aiment jouer à la XBOX, regarder des vidéos sur Youtube et prendre soin de leur look .

Ils sont animés par la volonté de poursuivre leur vie en paix , dans un lieu sécurisé où ils pourront s’exprimer librement, par le désir de pouvoir aider leur famille restée au pays, par l’envie de s’intégrer dans une société qui voudra bien d’eux.

Ils ont fui leur pays par nécessité, et non par plaisir. Ils sont déterminés et ils nous apprennent ce que sont la résilience, le courage, la ténacité. Parfois ils craquent, ils pleurent, tellement le poids qui est sur leurs épaules est lourd…Toujours ils nous disent de ne pas nous inquiéter pour eux et que ce qu’on leur offre leur est précieux » raconte émue, Cécile P, maman de 4 adorables enfants

« Quelques souvenirs en vrac : mon invité qui s’inquiète de me voir seule dans ma maison et qui pousse un ouf de soulagement quand je lui explique que j’ai beaucoup d’activités, une famille et des amis ! Trois charmants Ethiopiens qui ont nettoyé ma maison de fond en comble : l’un aspirait, l’autre le suivait en tenant le fil et la charmante M. passait la serpillère. Le jeune musulman qui tenait à venir à la messe de Noël avec son ami orthodoxe… » se souvient avec tendresse Colette.

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Les hébergeurs sont souvent des hébergeuses

Pour Coralie, le mouvement est très féminin, lié sans doute au sentiment de protection que les femmes développent peut-être davantage, une forme d’instinct qui les pousse à agir « mais on a aussi des hébergeurs masculins et un super chauffeur, extrêmement dévoué, Yves. Beaucoup d’hommes se laissent convaincre par leurs femmes et sont complètement conquis ».

« Est ce une histoire de femmes ? » s’interroge Martine « Je pense que oui et, pour moi, ça relève de l’instinct maternel. Comment accepter que des jeunes et parfois très jeunes doivent dormir dehors en plein hiver ? Demain je devais renvoyer deux migrants à Bruxelles parce que j’ai une fête de famille dimanche, mais, vu le temps, je me suis arrangée avec une amie qui les prendra dimanche. Ils passeront donc encore deux nuits au chaud ! »

Pour Colette aussi, c’est une évidence mais à nuancer : « Oui, je constate que c’est souvent une histoire de femme, du moins pour l’accueil mais bien des hommes répondent aussi lorsque je poste une demande pour des vêtements, chaussures… J’ai l’impression de lancer de petits cailloux qui développent de plus en plus de belles ondes de générosité !»

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Une histoire de femmes, d’hommes, d’enfants : de là bas et d’ici

« Une dernière chose mais tellement importante: être dans le groupe Wapi/ hébergement m’a permis de rencontrer beaucoup de femmes formidables qui se coupent en quatre pour les autres et de me faire de nouvelles amies. Cela aussi est très précieux car nous nous soutenons les unes les autres » précise Martine. 

« J’accueille les migrants comme je voudrais que l’on accueille mes enfants s’ils étaient dans une situation difficile, et en partageant cet accueil avec ma famille, cela donne un réel sens à cet esprit de fraternité. Je suis très fière de faire partie de cette grande chaîne de solidarité.  Mes enfants sont porteurs de valeurs qu’ils essaient de transmettre à leur tour, autour d’eux. Notre vie a définitivement changé en 2018 » conclut Patricia.

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Et en écho, Cécile, la maman de famille nombreuse, ajoute : « Ma famille sort grandie de cette expérience humaine. Nos enfants ne comprennent pas pourquoi I. et B. n’ont pas pu acheter un ticket d’Eurostar pour aller à Londres mais ont dû se cacher dans un camion. Ils ne comprennent pas pourquoi on enferme nos invités dans des « prisons » (centre fermés) alors qu’ils sont gentils, qu’ils n’ont rien fait de mal. Ils ne comprennent pas pourquoi E.,B.,I.,J. … dérangent, tout simplement parce qu’ils ne sont pas nés dans le même pays qu’eux. Nos enfants comprennent cependant mieux qu’avant à quel point ils sont privilégiés et à quel point l’humanité est belle quand on se donne tous la main, quand on oublie les différences pour ne chercher que le bonheur de tous.

Cette expérience que nous vivons en famille nous bouleverse mais nous redonne foi  en la solidarité et en la fraternité… valeurs dont notre humanité a grandement besoin ! »

Une phrase « merveilleuse » s’impose pour terminer, celle de l’écrivain Christian Grondhal : “Nous sommes sans domicile fixe, le monde entier est sans abri si nous ne parvenons pas à nous sentir chez nous avec les autres”

Aniko Ozorai

Renseignements généraux :

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