« Je ressens de plus en plus la nécessité de le faire. L’époque actuelle est formidable. Ça reste beaucoup de travail, mais le contexte de cette région réclame tout simplement une initiative du genre. » Benoit Geers a les yeux qui brillent quand il évoque NEXT, le festival annuel des arts de la scène de l’Eurométropole et…
Benoit Geers, coordinateur de onze éditions du festival d’arts de l’Eurométropole
Nous avons rendez-vous au Kunstencentrum BUDA à Courtrai, où Benoit a son bureau. Par la fenêtre, on aperçoit les Tours du Broel. Son terrain de jeu, quant à lui, est particulièrement vaste : l’Eurométropole et Valencienne. Et c’est le cas depuis un certain temps déjà. Benoit est un véritable transfrontalier.

Il a débuté sa carrière au début des années 2000 comme chargé de communication pour Anno ’02, un festival culturel du sud de la Flandre-Occidentale qui a permis à toute une génération de professionnels de la culture de mettre le pied à l’étrier. Après le festival, il a travaillé au Schouwburg Kortrijk où, sous la houlette de Roos Desmet, il a pu collaborer avec La Rose des Vents, un établissement à vocation artistique situé à Villeneuve-d’Ascq. Dans le cadre d’un projet Interreg, les deux institutions culturelles ont travaillé sur la danse et échangé leur public. « Ainsi, j’avais déjà un peu d’expérience quand j’ai eu la possibilité de devenir coordinateur de NEXT en 2009, juste après le lancement du projet. En 2008, pour la première édition, les deux établissements assuraient encore eux-mêmes la coordination. Cette mouture initiale de l’événement n’était encore qu’un collage. Qu’est-ce qu’un festival transfrontalier ? Comment organise-t-on cela ? Comment gérer la vente de billets ? Telles étaient les questions qui nous préoccupaient à l’époque. À partir de l’édition 2009, nous avons vraiment commencé à programmer ensemble. Ce n’était pas si évident. Nous étions assis autour de la table avec des institutions qui avaient chacune leur propre mission et voulaient que celle-ci se reflète dans le programme. »
Contre le repli sur soi
C’est aussi à la même époque qu’a pris forme l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai. C’était une période de foi dans la coopération transfrontalière, de dynamisme, de grand volontarisme. « À l’époque, je trouvais très excitant de faire ce travail. Et c’est encore le cas aujourd’hui. Peut-être même plus, car beaucoup de choses ont changé au cours de ces dix années. Dans l’Eurométropole, sur le plan de la coopération, mais aussi au sein de NEXT. Nous travaillons maintenant avec des équipes artistiques totalement différentes de celles des débuts. Le festival a changé mon regard sur les choses. Je ressens de plus en plus la nécessité de faire ce travail pour lutter contre le repli sur soi. En fait, si en tant qu’institutions culturelles, nous ne faisions pas cela dans cette région frontalière, nous ferions mieux d’arrêter tout simplement. Le contexte impose que nous pensions et travaillions dans une optique transfrontalière. Nous devons continuer à taper sur le clou : tourner le dos à la frontière n’est pas une bonne chose. »

Utiliser le contexte de la région frontalière
NEXT est entre-temps devenu une institution. Depuis sa création, le festival international des arts de la scène est le fruit d’une collaboration entre six institutions d’art flamandes, wallonnes et françaises : le Kunstencentrum BUDA, le Schouwburg Kortrijk, la Maison de culture de Tournai, La Rose des Vents, l’Espace Pasolini et Le Phénix. Chaque année, NEXT présente environ 80 spectacles de théâtre, de danse et de performances contemporains, répartis dans 15 villes. Il s’agit d’œuvres pionnières dans le paysage international, et de grands noms côtoient de jeunes créateurs sur l’affiche.
Mais le festival ne s’arrête pas là. NEXT soutient les artistes pour la création de productions. Après la première au festival, ces spectacles partent en tournée internationale. En 2015, le festival a été récompensé par la European Festival Association comme l’un des 12 festivals les plus novateurs d’Europe. En 2008, NEXT a accueilli 7 034 spectateurs pour sa première édition, alors qu’un pic a été atteint en 2015 avec 16 391 visiteurs. En moyenne, le festival brasse environ 12 000 spectateurs par an.
« Faire des spectateurs des acteurs »
« L’essence même de NEXT reste notre programmation tournée vers l’international. Sans NEXT, aucune des institutions ne serait en mesure de réaliser ce genre de choses seule. Nous unissons nos forces, nous plaçons la barre très haut. En même temps, nous voulons de plus en plus mettre à profit le contexte de cette région frontalière et lui plaire. » Cela se traduit par exemple par un public qui monte sur scène, par des spectacles qui utilisent le contexte de la frontière et, depuis quelques années, par la programmation en marge du festival, notamment « On a joué dans NEXT », où les initiatives citoyennes sont mises à l’honneur. « Cela gagnera en importance à l’avenir », estime Benoit. « Nous voulons nous ouvrir à d’autres publics, à d’autres contextes. Nous voulons faire des spectateurs des acteurs. »

Ce regard tourné vers l’extérieur est également visible dans l’organisation et la coopération au sein du festival. Le premier cercle des pionniers de NEXT s’est depuis longtemps élargi à un réseau plus vaste de partenaires qui accueillent des représentations et participent à la programmation. « L’Eurométropole possède un paysage riche en institutions culturelles. Nous voulons les intégrer, nous voulons leur donner des possibilités. Nous voulons créer une spontanéité dans le réseau, en faire une zone de confiance. Grâce à ce partenariat étendu, nous rapprochons les spectacles NEXT des gens. » Le festival mise fortement sur une coopération étroite et cordiale entre les organisateurs. « Nous travaillons horizontalement et en toute collégialité », sourit Benoit. « Il faut parfois se faire aux nouveaux partenaires qui arrivent et sont habitués à d’autres façons de travailler. Mais procéder de la sorte porte ses fruits. »
Pas de clichés
En onze ans d’existence, NEXT a vécu un contrecoup vers 2015. « On nous a alors annoncé que les ressources d’Interreg n’étaient plus destinées à la culture. Nous étions atterrés. Un jour, notre travail était acclamé et le lendemain, on nous annonçait que nous devions nous débrouiller seuls. Nous avons alors été bien contents d’avoir entre-temps constitué ce vaste réseau de partenaires. Ce réseau a motivé les principaux partenaires à poursuivre l’aventure et à investir encore plus de moyens. Cette épreuve nous a rendus plus forts. » Depuis, NEXT peut à nouveau envisager l’avenir avec espoir, avec un soutien venu de Flandre et de France. La Wallonie est encore un peu à la traîne, mais Benoit se fait fort de ce qu’elle suive également le mouvement. Un nouveau partenariat avec la région des Hauts-de-France doit permettre à NEXT de s’étendre encore davantage, en privilégiant les jeunes talents.
« NEXT est horizontal et collégial »
Benoit se refuse à comparer les régions et les cultures. Le fait, par exemple, qu’après un spectacle en France, il faille parfois chercher pour boire un verre, alors qu’en Belgique, la bière et le vin coulent à flot. Ou que la programmation est différente selon les régions. Ce genre d’affirmations. Faire des comparaisons entre Wallons, Français et Flamands, ce n’est pas l’affaire de Benoit. « J’ai vu de tout, dans toutes les régions », relativise Benoit. « Les institutions sont déterminantes. Les programmateurs sont déterminants. Et chaque public est différent. Et il existe une multitude de publics différents. S’il y a bien une chose que j’ai apprise avec NEXT, c’est que de nombreux clichés ne se vérifient pas. Cette région est passionnante et diverse. C’est ça qui fait notre force. C’est elle que nous devons mettre en valeur. »
Bart Noels